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mardi 17 février 2015

De Passage - Le Making Off du scénario des 24 h de la BD 2015

Voici venir le tant annoncé, tant attendu, (oui, on peut bien se faire mousser un peu, non ?) le making off des 24 h de la BD ! 

J'aurais aussi pu nommer  cet article "comment on en arrive à faire une BD totalement glauque sans l'avoir prémédité" ou "comment se rattraper en expliquant son scénario quand il est trop compliqué"...

Attention, on y parle surtout de scénario, il y a surtout du texte et quelques gribouillis de recherches sur la BD !


Premières idées :


Après avoir eu le sujet, qui n'a pas manqué de me choquer, j'ai commencé à me demander ce que je pouvais faire. J'ai listé des idées, le chiot fantôme (qui était l'idée de Bluegeai et que j'ai écarté immédiatement) 

J'ai songé à faire quelque chose autour des objets abandonnés, que l'on doit jeter pour passer la frontière. Impossible de pondre un scénar qui me plaisait à partir de ça, je ne voulais pas me barrer dans un truc fantastique à base d'objets parlants, en ce moment, la BD tranche de vie m'intéresse davantage. 


24 h de la BD 2015 - premières idées


Pour autant, je ne voulais pas faire intervenir les personnages de Chronopulp dans cette histoire. Ca serait revenu à transformer mes personnages en monstres s'ils intervenaient directement dans l'affaire, ou à se contenter de citer rapidement le fait divers dans une case histoire de dire que ça avait quelque chose à voir. Outre le fait que je trouve cette méthode un peu lâche, que raconter autour de ce non-événement ? Bref, je ne pouvais pas tourner autour du pot, je devais mettre les pieds dans le plat, et raconter la mort de ce chiot malchanceux.


L'idée :


Une fois la décision prise, il fallait de j'organise mon récit. C'est là que la contrainte m'a aidé : Une case parlante, une case muette. J'ai décidé de superposer deux situations. Le quotidien avec la propriétaire du chien, Le quotidien avec un vieil homme, qui l'aurait sauvé de justesse. Une case muette, une case parlante. Une case en couleur, une case en niveau de gris. Je voulais faire jouer le décalage entre les deux, faire sentir à quel point un monde les séparait.

Assez naturellement, les passages avec l'homme se sont imposés en couleur, la femme en noir et blanc, tout simplement à cause de l'ambiance que j'imaginais pour les deux récits. Je voulais montrer la douceur d'un quotidien paisible, contre une vie de chien avec une personne qui n'éprouve pas particulièrement d'amour pour son animal de compagnie.

La création du personnage d'Anaïs


A ce moment-là, j'avais encore une idée très vague. Mon premier réflexe a été de dessiner une femme BCBG tirée à quatre épingles, juste parce que c'était la première image antipathique qui me venait à l'esprit. Et je me suis dit que ça n'allait pas. Parce que ça ne répondait pas à ma question.

24 h de la BD 2015 - esquisses des personnages

Comment pouvait-on en arriver là ? Mon ressenti, c'était qu'il fallait être folle pour faire une chose pareil. Alors plutôt qu'une femme d'affaire insensible, j'ai préféré dessiner quelqu'un de proche de nous. Une fille d'une vingtaine d'année, avec des cheveux bruns, longs et négligés, une tenue banale, un physique normal. Et de grands yeux épuisés par la vie.
Une jeune fille qui souffre dans son quotidien, et qui, déjà fragile psychologiquement, sombre complètement quand elle décide de tuer son chien.

Le déroulement du récit :


Comment en est-elle arrivée là ? Il fallait que ce chien représente quelque chose pour elle. Qu'il corresponde à une partie de sa vie qu'elle haïssait, ce qui transformait son geste en une tentative désespérée de se libérer de son passé. Ça n'excuse rien, je trouve ça totalement écœurant de tuer un animal, mais c'est un mécanisme que je peux comprendre. Finalement, c'est avant tout quelqu'un qui souffre. 

Alors, ce chiot, il a été offert par son ex. Il a été le témoin de choses affreuses, dont le quotidien avec le vieil homme sont le pendant positif. Elle est torturée, il est apaisé. Ils vont à contresens. Je voulais que cette opposition aille jusque dans le sens de lecture. Les moments avec l'homme sont un futur, on part de la fin pour revenir en arrière, au moment de leur rencontre.

Qu'est-ce que c'est que leur rencontre, finalement ? Pour moi, c'est le moment ou leur regards se croisent, et qu'ils se comprennent. Le vieil homme solitaire, et le chiot qui l'est tout autant, auraient pu être bien ensemble. Si elle avait cherché à le donner plutôt qu'à le tuer, ils aurait pu vivre une toute autre vie. Mais le chiot meurt. L'homme meurt lui aussi, d'une crise cardiaque. Et tout ce temps, toute cette vie qu'ils déroulent ensemble, on ne sait pas si c'est une sorte de paradis, ou un rêve partagé le temps d'un éclair, avant que la vie les quitte. On aimerait croire que c'est vrai, qu'ils vivent vraiment ces moments.

La Chronologie du récit :

(ou le moment ou on a commencé à discuter vivement de la fin d'Inception tandis que je faisais des flèches dans tous les sens.)

24 h BD 2015 - prise de tête chronologie

A ce moment-là, je n'étais pas sure de moi pour la chronologie. Je comptais ouvrir la BD sur la mort du chien, et la finir sur la mort de l'homme... Et si j'étais résolue à commencer par la vieillesse du chien et du vieil homme pour remonter à leur rencontre, je ne savais pas trop comment organiser les choses du côté d'Anaïs, alors que (pour une fois) la solution était simple : On commence avec la mort du chien, puis on fait le flash-back en partant du jour où il lui a été offert pour aller jusqu'au moment ou elle prend la décision de le tuer.

Les événements se déroulent. L'arrivée du chien, son éducation difficile, les cauchemars, la mort de sa mère, la paranoïa d'Anaïs, son impossibilité de trouver du travail, la séparation avec son copain qui était son dernier soutien. Quand on lui propose un travail, un ailleurs, elle y raccroche tous ses espoirs de s'en sortir.  Encore faut-il pouvoir prendre l'avion.

Le jour et la nuit :

L'homme et le chien, qui vivent ensemble un quotidien paisible, n'ont pas besoin de se parler pour se comprendre, marchent dans des chemins creux inondés de soleil et échangent des œillades, jouent ensemble, s'échangent des caresses et d'autres signes d'affection. Pas besoin de laisse ni de collier, le lien qui les unit suffit.

Parallèlement, la vie d'Anaïs est bruyante, trouble, pesante. Le noir est très présent dans l'image, correspond à la vision du monde qu'elle a. Je voulais qu'on voit que le chient était présent pour elle et sensible à sa détresse, mais qu'elle était elle-même trop mal pour lui rendre son affection, alors qu'il cherche juste un échange et une relation de confiance. C'est ce que je voulais raconter à travers l'aller-retour entre les deux récits.

Le Story Board :


Une fois l'idée précise en tête, il n'y avait plus qu'à mettre en image les éléments que j'avais préalablement listés. La principale difficulté était la densité d'éléments à faire passer dans la vie d'Anaïs, alors que les moments passés avec le vieil homme sont des non-événements, des petits détails...

24 h BD 2015 - story board 1

24 h BD 2015 - story board 2

Choix du titre :


Le titre, "De Passage" est venu très facilement. Je l'ai choisi parce que quelque part, l'ensemble de la BD se passe sur un laps de temps très court. On dit qu'on voit sa vie défiler devant ses yeux quand on meurt, alors c'est un petit peu comme si toute la BD était condensée entre le moment ou le regard de l'homme et celui du chien se sont croisé, et celui ou la dernière étincelle de vie les a quittés tous les deux.

La femme sans nom :


La femme qui apparaît à la fin, la même que l'on entrevoit aux pages 10 et 11, c'est le dernier lien au réel, le petit espoir un peu naïf qu'elle réussisse à les sauver tous les deux et à les réunir. J'avais envie de laisser un petit doute, à la Inception, justement, où on se dit "ils sont surement morts, mais peut-être, il y a une infime chance qu'ils aient survécu et qu'ils aient vraiment vécu ces moments de douceur."

Petite autocritique :


Oui, c'est le scénario le plus complexe que j'ai jamais pondu, en 3 heures de prise de tête. Le choix du noir et blanc pour l'intrigue principale prenait un peu à contre-pied. Il y a trop d'éléments pour que le tout soit compréhensible, et la compréhension de certaines choses reposaient sur certains effets graphiques que je n'ai pas assez poussé et étaient donc trop peu visibles

Je pense en particulier à la mort de l'homme. Si j'avais mis une plus grande proportion de noir dans l'image, avec quelques éclats de couleur, on aurait davantage compris le lien entre sa mort et les scènes en couleur.

Autre point qui me déçoit à la relecture, le chien a tendance a paraître plus jeune ou âgé de manière assez aléatoire, ce qui ne facilite pas la compréhension de l'écoulement du temps.

Bilan :


Bref, c'est loin d'être parfait. 24 pages, c'est à la fois peu et beaucoup. Peu pour construire un récit complet, beaucoup à organiser et réaliser. Je saurais maintenant que les scénarii complexes, c'est... Trop complexe, justement. L'année prochaine, je me recadrerais sur une idée plus simple.

Après, ne nous leurrons pas, ce qui m'éclatait le plus, c'était de faire les planches. Et pour le coup, j'en suis assez fière, elles sont sorties facilement, et correspondaient à ce que j'avais en tête en terme de style de dessin, de couleurs et d'ambiance. Je suis arrivée au bout de ce projet et j'ai pas lâché la couleur à mi-parcours.

Alors, qu'est-ce que vous aviez compris de cette BD ? Avez-vous eu des interprétations différentes, Relisez-vous l'histoire d'un œil neuf en sachant comment s'est passé la gestation du scénario ?


2 commentaires:

  1. J'avais pas compris ça du tout, mais maintenant que tu l'as expliqué je trouve ta BD vraiment géniale !

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    1. Eh bien, merci pour ton commentaire, ça me conforte dans l'idée que j'ai bien fait d'écrire cet article. ;) Il n'est pas très alléchant avec ses gros pavés de texte, mais je me suis dit que ça changerait un peu des BDs et illustrations et que ça serait intéressant.

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